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Le chat

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Le chat

(nouvelle, par Jean-Claude RENOUX)

 

Au rythme des marées la Dong Nai charriait des paquets de lis d’eau de toute éternité. De toute éternité, elle subissait l’influence de la lune. De toute éternité, les lis se soumettaient aux caprices de courants contraires. Le ballet des fleurs aquatiques ne permettaient pas de distinguer l’aval de l’amont : à marée basse elles divaguaient d’un côté, à marée haute elles dérivaient de l’autre. Le plus souvent les paquets de lis se mouvaient au même rythme lent, dans un sens et dans l'autre, vers le pont français côté rive de Biên Hoa , et côté rive de Hoa An vers le pont construit par les Coréens durant la guerre.

Mèo contempla le ciel et l'eau, couleur gris métallisé à cette heure. La luminosité intense rognait sur les lignes du pont français et en accentuait la dentelle. Les remorqueurs râblés semblaient se tasser pour labourer le fleuve. La ville retenait son souffle et la chaleur ne tarderait pas à fondre sur la ville. Dans son dos, le marché Nguyên Van Tri s’animait peu à peu. Sur l’autre rive, côté Hoa An, il était trop tôt pour les bars à filles. Il se résolut à gagner Buu Long pour y déjeuner.

Peu de voiture. Le flot des motos était encore retenu. La Honda se coula sans problème dans le flot de la circulation parmi les vapeurs d’essence, d’épices, de fruits et les senteurs entêtantes des fleurs d’étoiles du marin.

 

Il était né aux States, quelques temps après la chute de Saigon. Son père était propriétaire d'un hôtel construit pour héberger les Américains en goguette de la base d'aviation. Ses parents avaient été expropriés sans autre forme de procès et l'hôtel avait été attribué à un couple de Vietnamiens du Nord ; la fille en était encore aujourd’hui la gérante et la copropriétaire (avec le parti communiste). Rien que de très banal en somme. Á l'époque plusieurs centaines de milliers de Vietnamiens du Sud avaient été priés de quitter leur demeure sans rien emporter. Mèo et ses parents avaient vécu aux États-Unis jusqu’à ce que son père regagnât précipitamment le Vietnam, la justice américaine s’intéressant d’un peu trop près aux activités annexes de sa boite de nuit en Californie. Et depuis quelques années déjà le pouvoir communiste encourageait les exilés à revenir au pays, surtout fortune faite.

 

À l'époque Mèo avait 15 ans. Totalement pétri de culture américaine basique il pleura beaucoup d'être ainsi arraché à sa patrie première, d’autant qu’il ne parlait qu'un anglais américain assez sommaire et un vietnamien standard, appris aux States, différent de celui des habitants du sud. Et puis il s'aperçut bien vite que loin d'être un paria au Vietnam, son statut de Viêt Kiêu , américain de surcroît, lui donnait un avantage que même les enfants du régime n'avaient pas. À commencer pour les femmes. Il était laid, certes, mais riche, et il possédait la double nationalité américaine et vietnamienne. Petit, rond de partout, le cheveu rare, gras et terne, il ressemblait à un gros chat sournois. C'était d'ailleurs de sa ressemblance d'avec cet animal qu'il tirait le surnom que bébé lui avait donné sa mère. Au point que tout le monde, à commencer par lui, semblait avoir oublié son vrai prénom.

Dieu sait pourquoi Mèo avait cultivé sa ressemblance avec le chat ! Il accordait un soin particulier aux quelques poils qui poussaient aux commissures de ses lèvres et qui lui donnaient cet air repus de chat satisfait d’avoir croqué sans effort quelque souris qui passait à portée : petites paysannes recuites par le soleil, à l'opposé de l'engouement des Vietnamiens pour la peau blanche laiteuse qui fait flamber les dots ; solides campagnardes à la démarche sans grâce et aux mains calleuses, sèches et rêches, avares de caresses, que dédaignaient les petits princes rouges. Pour un plein d'essence de leur moto chinoise ou l’illusoire promesse d'un mariage qui leur permettrait de s'envoler pour les États-Unis, elles lui accordaient quelques faveurs fugaces, buccales pour celles qui s'étaient le plus frottées à la vie et aux hommes, dans un endroit discret de la campagne environnante.

 

Mèo eut 30 ans. Ses parents décidèrent de le marier et langue fut prise avec une famille de miséreux dont le père avait bien besoin de la dot de sa fille pour continuer à boire. La fille était menue, elle avait le teint bistre et un physique banal sans être vraiment laide, et ne parlait que le patois de Biên Hoa. Elle s'était pliée à la volonté paternelle, d'autant que Mèo valait quand même mieux que le miséreux qui ressemblerait à son père et qui resterait le cul vissé sur sa mototaxi en attendant le client, et boirait le salaire qu'elle prendrait peine à gagner, en lui martelant la face du poing quand l’envie le prendrait ; rustre auquel elle n'aurait pas manqué d'être mariée si cette union ne s'était pas concrétisée. Le fait que le portrait d'Ho Chi Minh trônât en bonne place dans la salle à manger du beau-père n'indisposait pas plus les parents de Mèo que celui d'être tenus de pavoiser dans les grandes occasions leur propre maison avec le drapeau du Viêt Minh qui les avait dépossédés. C'était la règle à laquelle nul ne dérogeait, et les flics de quartier y veillaient. Ce mariage ne changea pas grand-chose aux habitudes de Mèo. Les deux époux passèrent contrat moral à l'amiable : une étreinte sans fantaisie, ni futilités inutiles ou fioritures, deux fois par semaine et à jours fixes en vue de la reproduction de l'espèce féline ; son épouse ne s'avérant pas réellement intéressée par la chose et laissant à d'autres, hors les jours convenus entre eux, le soin de calmer les emportements saugrenus de son mari.

Mèo n'eut pas à courir ni bien loin, ni bien vite pour cela, et passa un deal avec une jeune ouvrière qui voulait changer de moto et s'offrir un nouveau téléphone portable. Une girl-friend, c'était bon pour le standing, mais pas sans risque quand on n'était pas un cadre du régime ou un fils de cadre. Mèo et la fille se retrouvaient donc une fois par semaine dans un hôtel non loin de la base d'aviation de Biên Hoa, où pour 200 000 dongs (les prostituées en réclamaient 500 000) Mèo pouvait soulager à moindres frais ses petites affaires. Jusqu'au jour où la jeune fille en pleurs lui annonça qu'elle ne pouvait pas continuer ainsi, le flic de quartier l'ayant repérée et informée qu'il voulait profiter de ses faveurs contre son silence. Redoutant de n'avoir de choix qu’entre être fichée comme prostituée ou tomber sous la coupe du flic, elle préférait renoncer au téléphone et se rabattre sur une moto chinoise plutôt que sur la japonaise qu'elle convoitait.

 

Et aujourd'hui Mèo avait près de 35 ans. Ses parents étaient morts depuis peu, son père dans un accident de circulation, sa mère d'un cancer foudroyant.

 

Après déjeuner, il gagna un bar à filles de Hoa An. C’était une baraque ouverte sur trois côtés et qui tenait à la fois de la paillotte et du hangar. Dehors, le grondement des motos et des klaxons, et le soleil qui brunissait la peau des filles et par là-même dévorait les dots. Sur chacun des piliers d’énormes ventilateurs tournaient à l’obsession. Dedans, un colosse aux muscles saillants, aux cheveux longs retenus par un bandeau qui lui donnait un air de pirate du Mékong, somnolait dans un hamac ; un vieil ado aux cheveux teints en blond, miroir de poche en main, s’activait à percer les boutons de sa face blême ; et trois ouvriers de la voirie fumaient en silence. Mèo pianotait sur son portable en écoutant la musique américaine que vomissaient deux enceintes pourries, tout en regardant le film, américain lui aussi mais sous-titré en vietnamien, d'une télévision à qui on avait coupé le sifflet. Il était attablé avec deux autres oisifs qui laissaient à leur femme le soin de travailler pour nourrir le ménage. Ils ne se parlaient pas. Chacun de pianoter, enfermé dans son quant à soi. Les filles, pianotant, se taisaient aussi. Elles ne les intéressaient pas non plus. Mèo se fit quand même la remarque qu’elles avaient bourré de coton leur soutien-gorge. Elles étaient payées pour leur tenir compagnie, pour répondre quand on leur parlait, pour se taire quand ce n’était pas le cas, et pour remplir leur verre de thé glacé quand il était vide. Peu se prostituaient, et uniquement quand le besoin s'en faisait sentir, et jamais pendant leur temps de travail. Celles-là se défendaient d'ailleurs d'être des femmes fleurs, affirmant que les 200 000 dongs qu'elles négociaient avant, c'était un cadeau ; les prostituées, les vraies, avaient dans la soirée plusieurs clients qu'elles ne pouvaient pas refuser, contrairement à elles, et les fleurs pratiquaient des tarifs autrement plus élevés. Mèo venait dans ce genre de bars pour y être tranquille et fuir sa femme. Il savait que brancher une des filles n'était pas sans risque non plus. Un rendez-vous tard le soir, c'était s'exposer à tomber sur le petit ami de la fille, ou son frère, qui aurait tôt fait de le dépouiller, de lui voler sa moto, voire même de le saigner.

 

C'est alors qu'il reçut un texto. Il ne reconnut pas le numéro, mais comme il avait l'habitude de donner le sien à tous et à n'importe qui, il ne s'en étonna pas plus que ça. La fille disait s'appeler Chuôt et vouloir s'amuser. "Di choi". Elle l'attendrait à midi à l'abri d'une maison coloniale désaffectée, là où la Dong Nai faisait une boucle en pleine campagne dans les écarts de Hoa An. Mèo hésitait. Sans doute une occasionnelle qui avait désespérément besoin d'argent. Mais la curiosité l'emporta. Il se dit qu'il ne risquait pas grand-chose en pleine journée plutôt qu’à nuit tombée.

 

Il contourna l’imposante bâtisse délabrée, le chemin était malaisé, la moto dérapait, le parc disparaissait déjà sous la végétation et le portail ne tenait plus que par un gong. Mèo savait qu’à l’intérieur une chienne, qui avait mis bas, y avait trouvé refuge et ne laissait entrer personne. Il se gara en bordure de fleuve, et prit un instant pour contempler le panorama. Le ciel et la lumière nappaient la Dong Nai d’un bleu uniforme et nacré. Pas un bruit, pas un cri, pas un chant d’oiseau, pas un bourdonnement d’insecte. Juste la chaleur et la luminosité qui atteignaient leur point culminant. Il sentait un malaise le gagner. Il entendit les roues de la voiture feuler derrière lui. En se retournant, il vit les plaques bleues qui indiquaient une voiture de cadre. Si un responsable du parti voulait le rencontrer cela avait peut-être à voir avec l'hôtel de ses parents. Le nouveau pouvoir, soucieux de s'attribuer les bonnes grâces et les capitaux des Viêt Kiêu et des partisans de l'ancien régime, prônaient désormais des arrangements à l'amiable entre les nouveaux et les anciens propriétaires des biens spoliés 40 ans plus tôt. Aussi Mèo ne fut-il pas vraiment surpris de voir l'actuelle gérante descendre de la voiture. Elle avait 8 ans quand elle était arrivée dans les fourgons de l'armée du Nord avec ses parents, et flirtait désormais avec la petite cinquantaine. Il s'étonna quand même qu'elle ne l'ait pas invité à discuter à l'hôtel. Il le fut encore plus quand il vit le mari de la femme et le frère de celle-ci, tous deux en uniforme de l'armée, descendre aussi de la voiture. Avant d'avoir compris ce qui lui arrivait, Mèo sentit le frère l'immobiliser par une clé au cou qui l'empêchait de respirer et de crier. La femme le rassura gentiment. Il ne sentirait rien, il perdrait tout simplement connaissance avant d'être fourré dans un sac et jeté dans le fleuve. Elle tenait à s'en excuser, mais il devait comprendre que plutôt que d'entamer de longues et fastidieuses négociations, pénibles pour toutes les parties ; il valait mille fois mieux régler discrètement et définitivement le problème, conformément aux directives du parti...

 

Et noyer le chat.

 

Biên Hoa, Vietnam, le 6 février 2016

 

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